Jeudi 4 avril
Ce matin nous avons rdv avec Roger Lewis, 72 ans, saxophoniste spécialisé dans le baryton et patron du célèbre Dirty Dozen Brass Band. Kirk Joseph nous a appris « Blackibird Special », un des morceaux du Dirty que Roger enseigne à chaque stage, juste pour lui faire une farce…ici, ils se taquinent tout le temps entre eux ! C’est comme un sport local entre musiciens ! Il se charrient et se chambrent tout le temps.
Quand Roger entre dans le Chickie nous jouons Blackbird… Et dans un large sourire lance un « ah !! Blackbird spécial ». Il sort son baryton et se met à jouer avec nous .
Mais l’âge a toujours raison… IL nous apprend qu’il y a aussi une « part 2 » . Il aura toujours le dernier mot 😉
Kirk se glisse dans le Chickie Wah Wah et nous fait un numéro de clown dans le dos de Roger qui ne l’a évidemment pas vu !…
Après cela il nous demande de jouer ce que nous avons déjà appris et les morceaux se déroulent non sans qu’il nous donne des idées de riff, de back et autres petits arrangements. Il est installé là, au milieu du Chickie, assis sur son tabouret, la bouche collée à son de baryton lui même posé sur un pied juste à hauteur pour un minimum d’effort. Mais lorsque le bonhomme se lève, baryton au coup, pour nous faire une démonstration de danse de parade, il semble tout à coup si souple !! Je me fais la réflexion qu’à son âge je souhaite vraiment être aussi leste et fringuant ! Mais sa démonstration avait juste pour but de nous expliquer que les tempos des morceaux à New Orleans sont intimement liés à la vitesse de déambulation, une leçon à ne pas oublier, même si certains morceaux du Dirty sont rapides, ce n’est pas lié à une réalité physique comme cela devrait être le cas, mais bien au fait qu’ils ont fait cela étant jeunes, quelque fois alcoolisé ou agité par diverses choses….
Mardi gras in New Orleans viendra ensuite s’ajouter à notre répertoire de stage. Et puis, il est l’heure…mais… Roger ne bouge pas de son tabouret, réfléchit quelque peu…et voilà qu’il envoie une rythmique avec ce son de baryton et ce groove si caractéristique… les instruments improvisent autour, d’abord les percussions, puis tout le monde se joint à cette mini-jam…grand moment ! Je fais tourner l’enregistreur, Roger fait de même avec son iphone…et puis, le morceau finit dans des éclats de rires complices…et il nous explique que c’est une composition à lui au titre français « l’ascenceur » !! Une histoire de femme dans un ascenceur…connaissant « dirty old man », je n’ai pas besoin d’en savoir plus pour laisser libre cours à mon imagination !
Roger reste manger avec nous, aujourd’hui c’est jambalaya : poulet, saucisse, riz …épicé…il va sans dire !
Il se fait 13h…13h10…13h15…je m’inquiète de savoir si Walter a bien compris ce que je lui ai dit et confirmé l’autre soir..et puis le voilà, grosse-caisse au dos.. nous nous tombons dans les bras l’un l’autre…y’a rien à faire, ce gars là, c’est vraiment quelqu’un !
Il m’explique que Otta Fayo cherche une place et qu’il va arriver. Et 10mn après le voilà à son tour : les black indians sont dans la place !!
Walter place sa grosse-caisse comme un tambour (à l’horizontale) au centre de la scène, sort ses mailloches. Nous nous plaçons autour d’eux et le voilà qui commence à parler des black indians et de ce pourquoi cette culture est pour lui une manière de vivre bien qu’il n’est aucun indien dans sa famille…à 5 ans il a entendu les tambours et surtout la grosse-caisse, et il est parti de chez ses parents pour parcourir quelques kilomètres…à 5 ans c’était insensé, surtout seul, mais c’était plus fort que lui..il est tombé sur les black indians et il s’est dit : « je veux être des ses gens là et je veux jouer le tambour, le big-drum ». Et là…il attaque..ce roulement, ce flots continu qui vous saisi immédiatement tellement sa force vous prend aux tripes, au ventre..c’est d’une intensité rare, vous ne pouvez pas résister… Otto Fayo envoie le tambourin et là… « POWERFULL » !!
Walter montre le pattern de grosse-caisse, qu’il dit être simple… il est simple sur le fond, ce ne sont que 16 double-croches dans lesquelles se glissent des accents…mais bon, il faut y mettre le cœur !
Walter explique bien que si on y met pas tout ce qu’on est…ça ne marche pas ! Il n’est ici pas seulement question de musique ! Les black indians défendent une vision de la vie, du partage, de la vie en général.. C’est une culture de gens pauvres pécuniairement mais riche pour tout le reste !
Otto Fayo, qui est Big Chief, nous raconte un peu son parcours. Il est policier et big chief depuis 10 ans…il en a 35 ! Il y a 2 façons d’être big chief, soit par héritage familial soit en apprenant auprès d’autres « tribus » (tribes en anglais) et en se faisant co-opter par les autres chefs. Lui a suivi la seconde voie. Il explique son rôle, ses responsabilités vis à vis des « ses » indiens. Il se doit d’être là pour tout le quotidien de sa tribu, d’être le médiateur, le conseiller, l’aide (même financièrement), le pillier, le sage que l’on consulte pour tout. En plus de cela il participe aux conseils des chefs (une sorte de table ronde du genre des chevaliers du roi Arthur, nous dit il). Ils élisent un « head-chief » qui est le représentant et le référant suprême, celui qui discute avec les institutions, les politiques, etc. Il nous explique aussi que lui, particulièrement, joue un rôle fort auprès de la police, puisque c’est son métier, et qu’il fait œuvre de pédagogie pour expliquer cette culture. Il faut savoir que les black indians et leurs rassemblements sont très mal perçus ici car dans le passé ils ont donné lieu à des « gun-fights »…c’est incroyable qu’un chef indien soit aussi policier, mais cela lui permet d’apaiser les policiers et les indiens évidemment.
L’après midi se poursuit par une sorte de mise en transe…le tambour tourne, déverse son flot de larges graves…nous jouons les tambourins, les cloches, les cymbales et tout ce qui nous tombe sous la main.
Otto Fayo m’explique qu’il est fan de musique et de cuivres ! Il essaye le sousaphone..il est comme un gamin, trop ravi qu’on le laisse jouer avec ! Il nous demande de lui jouer un morceau. C’est parti pour Blackbird, ils se mettent à jouer avec nous, je prête ma caisse-claire à Otto, tout content de jouer pour la première fois de cet instrument…et il se débrouille pour un débutant le bougre ! Walter propose de l’enchaîner avec un chant indian…et nous voilà parti pour les fameux questions réponses et Big Chief commence à improviser…on sent le tension monter surtout lorsqu’après avoir repris Blackbird nous enchainons de nouveau mais sur « Come on Get’em » ! Les visages se tendent et nul besoin d’expliquer le sens de cette chanson « guerrière » …la tension monte encore d’un cran et la trance s’installe !……il faut le vivre pour le sentir.
Walter me redit qu’il faut absolument que je vive un « super-sunday » le jour ou tous les indiens se retrouvent à New Orleans…pour cette année c’est rapé, c’est juste le dimanche suivant de notre départ mais nous prenons rdv pour l’année prochaine…I hope so! Otto Fayo me confirme même que nous pourrions venir y participer en jouant avec un brass band !…..que de belles perspectives !
Retour tranquile à l’India House, c’est le moment de faire des lessives, échanger encore et encore de toutes ces émotions et nous programmons un départ pour aller voir le Stooges Brass Band.
Départ en taxi pour le Rock Bottom sur Tchoupitoulas…je ne connais pas l’endroit, mis à part que j’y fait un départ de 2nd line en octobre 2011. Un quartier résidentiel, tranquile et plutôt aisé…on est uptown pas de doute !
Notre arrivée en taxi ne passe pas inaperçue comme à chaque fois…un « troupeau » de blancs qui débarquent dans ce genre d’endroit, c’est pas tous les jours… Les barbecues des 2nd line sont là dehors. Il fait un froid de canard alors, après avoir mangé un barquette de fruits frais (…et oui ici c’est rare, alors on se jette même sur des fruits pas forcément délicieux) nous entrons dans le bar. Une cymbale sur pied, une grosse-caisse sur le sol et un saxophoniste en train de chauffer face au mur…nous commandons quelques breuvages dans un saut de glace ! Les serveurs veulent nous placer à des tables mais une énorme sono hurle de la musique groovy… Je sors l’appli sonomètre de mon téléphone pour constater, bouchon dans les oreilles, que la courbe stagne invariablement à 98dB ! Nous patientons bien 30-45mn avant que l’ensemble du groupe se rassemble et n’attaque le set !
J’enlève même mes bouchons pour entendre distinctement mais je les replace très rapidement car le son est énorme…je les connais bien et il n’y a rien d’étonnant…le sousaphoniste ne doit pas avoir plus de 20 ans et il envoie une purée du diable, comme le grosse-caissiste qui se place le long du mur pour plus d’impact mais je ne comprens absolument pas comment ils tirent ce son de ces instruments…c’est incompréhensibles, ils mettent des « ramées » incroyable ! C’est invraisemblable…le son est tellement fort que, la fatigue aidant, je me surprends à m’endormir. Des danseurs incroyables se déplacent dans la salle, se chauffent entre eux et les cuivres envoie des jets fulgurants d’aigus et de saturation des cuivres. A la pause tout le monde fait le même constat et nous décidons de rentrer faute d’énergie suffisante pour écouter un second set.
23h30 nous sommes de retour à l’India, le froid est toujours aussi présent et personne ne rechigne à se glisser sous les couvertures !
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